Mon premier jour a Yelizovo, ville jouxtant la capital provinciale Petropavlovsk et abritant l'aéroport principal de la péninsule, m'avais déjà imprégné d'une ambiance toute Kamchatdale : de la verdure partout, des volcans omniprésents, et des habitants, parsemés dans ce paysage de nature indomptée et qui semblent s'allumer d'une chaleureuse hospitalité au son des premiers mots russes entendus.
Dès le lendemain, mais « enfin » pourrait-on dire pour Vincent, Thomas et Thibault, qui arpentaient les rues de Yelizovo depuis plusieurs jours déjà, nous partions pour notre première ascension. Au petit matin nous sommes montés dans le 4x4 de Valeri qui devait nous conduire jusqu'à la station qui sert de point de départ aux ascensions des deux volcans qui surplombent presque, tant ils sont proches, la baie d'Avacha et la ville de Petropavlovsk : le populaire Avashinsky (2750m) et le plus exigeant Koriakski (3450m).
Notre cible était le Koriakski. Il s'agissait de se «chauffer» sur ses fla
ncs avant de se lancer quelques jours après dans le massif du Kliouchevskoy. Et on a pas a été déçu. Après avoir atteint la station touristique située a 800m d'altitude en remontant le lit asséché d'une rivière (une route en moins à construire), nous mangeons un bout et nous apprêtons a nous mettre en marche sous un ciel chargé et de plus en plus bas, quand Yuri, un guide local, vient se renseigner sur notre présence. Après nous avoir fait comprendre que nous aurions dû avoir engagé un guide, il se propose de nous mettre sur la bonne voie en nous accompagnant sur le premier kilomètre. Nous acceptons d'autant plus volontiers que les nuages bouchent la vue de l'arête que nous savons devoir prendre et que nous ne disposons pas de carte précise du Koriakski.
Mis sur les bons rails par Yuri, nous progressons rapidement dans un brouillard mâtiné de pluie et d'un vent de plus en plus violent qui met a rude épreuve l'imperméabilité de certains de nos vêtements. Le test ne fait que commencer.
Après 3 heures de montée sur une arête assez large pour être qualifiée d'épaule de sumo, nous prenons finalement pied sur un petit dôme de pierres rouges qui nous avait été indiqué par Yuri comme le seul lieu possible pour établir le camp de base. Nous trouvons effectivement la grosse pierre qui devrait nous offrir un certain abri du vent et y montons la tente, toujours dans le brouillard, la pluie, le vent. Dans de telles conditions et comme nous ne sommes qu'au début de l'après-midi, pas d'alternatives à une sieste dans des sacs de couchage plus ou moins secs. La tente plie sous le vent qui souffle maintenant très fort mais on finit quand même par trouver le sommeil et quand nous ouvrons à nouveau les yeux, bonne surprise, le soleil illumine l'intérieur de la tente. Dehors le vent souffle de plus belle mais a chassé les nuages et nous découvrons un paysage splendide : l'Avachinsky laisse peu à peu apparaitre son cône régulier, rougeâtre et fumant, tandis que 2000 mètres plus bas la forêt s'étend jusqu'aux rives de la baie d'Avacha et à l'Océan Pacifique. Au dessus de nos têtes, les contreforts du sommet du Koriakski émergent des nuages et nous voyons clairement l'arête que nous devrons prendre demain pour y parvenir. Ca a l'air prenable, au moins jusqu'à a la pente finale, que nous ne distinguons pas suffisamment clairement pour juger de sa difficulté. Le départ est fixé a 5h30 demain matin. Les nuages et le mauvais temps reviennent, retour dans la tente.
La nuit tombe et le vent n'a jamais été aussi violent. La tente s'aplatit littéralement sous les rafales et danse comme un vaudoo en transe le reste du temps. Certains d'entre nous dorment mal tandis que les autres ne dorment pas du tout et font des sorties pour tenter de consolider les attaches de la tente, de peur qu'elle s'envole. Après une pareille nuit, c'est le plus naturellement du monde que nous ne nous levons pas a 5h30 mais 2 heures plus tard. Le vent s'est calmé, sans doute fatigué par ses exploits nocturnes, et le ciel plutôt dégagé. On part donc sur le coup de 8h, après un petit-déjeuner vite expédié. L'ascension sur l'arête est d'abord facile, puis devient plus lente au fur et a mesure que la pente se raidit et que le sol et la roche se couvrent de glace et de neige. Au-dessus de nous, la partie sommitale (nous ne distinguons jamais clairement le sommet) apparait couverte de neige fraiche…et loin. On continue. L'arête est maintenant étroite. Nous crapahutons dans de gros blocs de rocher. Ce n'est pas difficile mais il ne faut pas tomber et le gel oblige à avancer prudemment. Il est déjà 11h et nous sommes juste sous les 3000m. Juste devant nous, un passage un peu délicat apparait. Nous commençons à nous encorder en discutant de l'opportunité de continuer. Il est tard (pour des standards alpins), les nuages semblent persister au sommet, le reste de l'ascension semble être de plus en plus technique. Une fois l'encordage terminé, la décision de faire demi-tour a déjà été prise. La descente se passe sans histoire et nous rejoignons la station dans l'après-midi. Le temps de discuter avec un groupe venu fêter un mariage entre amis, et nous remontons dans la jeep de Valeri, direction Yelizovo.
1ère tentative d'ascension, 1er échec. Mais aucun des membres du groupe ne semble trop affecté par ce bilan. Clairement, la motivation n'était pas encore là à 100% pour atteindre un sommet que nous avions par ailleurs peut-être sous-estimé. Il s'agissait de se préparer pour les treks à venir et de ce côté-là la mission est accomplie. Les corps se sont décrassés et le matériel a déjà été soumis à rude épreuve. A vrai dire, nous ne connaitrons plus de conditions aussi hostiles tout au long de notre séjour dans le massif du Kliouchevskoy. Et puis nous avons tous la tête pleine des paysages grandioses et inédits qui se sont offerts a nous durant ces deux jours. Difficile d'être amers après ca. Nous prenons tout de même le bus pour le nord le surlendemain avec l'intention, raffermie par notre premier échec, de réussir les ascensions prévues sur le parcours.